Nous avons dû attendre une pleine semaine à Marseille avant de décoller de la panne. Bien sûr, il y avait des bricoles à faire, mais lorsque le samedi Pierre est allé cherché Sébastien à la gare, harnaché de son ciré sous une pluie soutenue qui a duré toute la journée, l’envie m’a pris de rentrer dare dare à la maison. Malgré le théâtre, malgré le cinéma, malgré les copains, la famille et les bricoles … Le vent était fort sur Provence, pas question de partir dans ces conditions. Ce ne sont pas des choses à faire à un jeune équipier, Sébastien, qui n’a jamais mis les pieds sur un bateau, ni à Lucas qui a un peu oublié les croisières de ses jeunes années. Je ne veux pas prendre les jeunes pour excuse, je n’aime pas me faire secouer non plus.

Le lundi 20 mai est arrivée la « fenêtre » tant attendue. Jacques et Myriam nous ont porté une montagne de croissants tôt le matin. Quelle agréable manière de nous dire au revoir ! A 10h30 nous sortons du Vieux-Port et quelle surprise … ils nous font de grands signes depuis la jetée du Fort Saint-Nicolas.
La « fenêtre » était étroite, du NW fort était de nouveau prévu pour le mercredi. Pierre décide de passer avant, nous ferons la traversée directement, sans l’arrêt sur la côte destiné à nous amariner un peu. Sébastien a tenu le coup, toujours tout sourire, et après avoir donné aux poissons trois fois en vingt-quatre heures, il termine toujours sur une note optimiste : « Maintenant, ça va bien ! ». La mer n’est pas terrible, un peu hachée, inconfortable, pas l’idéal pour un départ au large. Il y a pire, aussi. Dès le lendemain, les dauphins sont venus nous voir, ils sont restés à jouer toute la matinée. Le soir de cette deuxième journée, nous sommes au cap Pertusato, sud Corse, nous avions les côtes en vue depuis quelques heures, la neige est toujours présente sur les sommets. Vers 21h00, un dernier coup de téléphone à Emilie, je lui dis qu’il fait froid et pour me réconforter, elle m’apprend qu’autour de Gap les montagnes sont de nouveau enneigées. Mimosa, leur bateau de 7 mètres a fait la traversée (!), il est à Calvi avec Micha et un copain. Avant la tombée de la nuit, nous distinguions Asinara (NW de la Sardaigne).
A une heure du matin, Pierre s’est réveillé et me propose de prendre le quart, tout guilleret. Je suis fatiguée, gelée des pieds au crâne, j’ai sommeil et un truc bizarre dans l’estomac, je n’en peux plus. Aussitôt dit, je saute sans vergogne dans la banette du carré. Je sais qu’il passera la nuit debout sans problème, comme d’hab’. En plus, faire la navigation dans les Bouches de Bonifacio, c’est trop délicat pour moi. Pierre se régale, il est dans son élément, je m’endors tout net, les jeunes sont calés dans leur banette, de temps en temps ils sortent la tête, ouvrent le bec. Tout est bien. Sébastien s’est étonnamment bien adapté.

Mercredi 22 mai – Vers cinq six heures, le jour pointe. Nous passons les Bouches. Nous avons affalé la grand-voile car le vent commence à monter un peu fort et sous voiles d’artimonts et yankee (la voile d’avant), nous continuons à descendre à travers les cailloux de la Madalena. Le passage n’est pas très large. Naviguer là de nuit, ça doit être impressionnant. Nous sommes en sécurité, le vent s’est levé NW, 7/8. La côte est toute proche, nous commençons à voir les maisons luxueuses de cette région, le Saint-Tropez de Sardaigne. C’est très beau, le vent souffle et l’Aloha tient sa route. Les jeunes sont levés. Sur la carte, Pierre a repéré une crique où nous pourrons nous abriter du NW. Vers 10h30, nous mouillons à Cala di Volpe, NE Sardaigne, sur du sable clair, eau limpide. Les propriétaires autour du lieu ont du goût, c’est le moins qu’on puisse dire, les architectes rivalisent d’imagination pour intégrer au paysage les constructions et de splendides jardins à fleur d’eau. En toute simplicité. Le vent souffle, force 8, parfois 9 ; et nous resterons coincés là pendant quatre jours. Une rafale a fait chasser le bateau. Et nous avons jeté l’ancre juste à côté, un peu plus en côte, sur une immense plage bordée de parasols et chaises longues … vides. Tu parles, il fait un froid, avec ce vent, mais nous mangeons dehors, juste pour le fun. Pierre et Lucas ont voulu se baigner, quelle frime ! Avec Sébastien, nous les regardons avec beaucoup de curiosité, et malgré leurs cris (elle est bouillante !) nous sommes restés impertubablement emmitouflés dans nos vestes à les regarder se sécher à grande vitesse.

Dimanche 26 mai – Nous levons l’ancre. Belle navigation. Nous passons Tavolara, le cap Cavallo, cap Comino. Mouillage à cala Ginepro.

Lundi 27 mai – Cinq heures du matin, le vent commence à se lever et nous décidons d’en profiter. Navigation tranquille vers Arbatax, le port … la terre ferme … la douche chaude … le premier café italien. A midi ¼ nous sommes à quai et les instructions nautiques n’ont pas menti : l’accueil, les installations, le café … tout est bien. On se pause un peu mais sans le courage pour écrire des cartes. Le bateau est sous une croûte de sel qu’on a vite fait de rincer, nous aussi d’ailleurs. Grand ménage dehors, dedans aussi. L’Aloha est tout propre, on respire et on profite du calme. Lucas est heureux et tout étonnés des repas : « C’est mieux qu’à la maison » et de rajouter « Enfin, presque ». Bon … Nous avons bien attaqués les bocaux de mamie Goulou, les petits gateaux maison distribués avec parcimonie. Ballades en bus à Tortolli.

Mardi 28 mai - Trois heures du matin : Lucas nous réveille, il se tord de douleurs, on fait ce qu’on peut jusqu’à cinq heures. Demain ... docteur. Passons. Car tout va bien, a dit le toubib. On continue à guetter les météos. A Arbatax, nous sommes vraiment bien, et, chose totalement inhabituelle, nous sommes au port alors qu’il fait beau. Cette croisière est vraiment bizarre.

Mercredi 29 mai – Nous filons un peu plus au sud avant la traversée pour la Sicile. Vent de S/SW 4/5. Il va passer à l’ouest. Mouillage juste au nord de San Lorenzo.
Jeudi 30 mai – Aujourd’hui, nous passons. Le vent est ouest. Pierre a pris deux ris dans la grand voile, en prévision, et après une heure de navigation, les militaires nous font faire demi tour, pour cause de tir par les avions italiens. Merdre !!!! celle-là, c’est bien la première fois qu’on y a droit.
Suite au prochain numéro. Pierre a pris la barre à 15 heures et ne la lâchera qu’à huit heures le lendemain matin, là le bateau tient enfin le pilote automatique, je m’endors, nous arrivons bientôt.

Depuis hier vendredi 31 mai 11h30, nous sommes au port de Marsala. Les jeunes vont bien, ils s’échangent des livres, se racontent je ne sais quoi pendant des heures. Ce soir, nous irons au concert de guitare, comme hier soir.