INTRODUCTION

Si la quasi totalité des secteurs marchands dépend à un moment ou à un autre du domaine maritime, l’importance donnée par les politiques nationales successives à ce domaine n’est en rien proportionnelle à son implication commerciale.

I - FONCTIONNEMENT DES PORTS

90 % du commerce (en volume) entre l’Union Européenne et les pays tiers passent par bateaux : c’est énorme. Presque tout le pétrole importé par l’UE, transite par mer (soit 80 % du pétrole consommé). 35 % du commerce intérieur se fait par voie maritime. Trois chiffres qui, à eux seuls, suffisent à montrer l’importance des services portuaires car dans un port il faut pouvoir accueillir des navires : c’est fait pour ça, sauf qu’on n’accoste pas un porte-conteneur de 24 000 EVP (c’est-à-dire l’équivalent de 12 000 camions de 35 tonnes) comme on gare son automobile. Il faut donc :

  • des infrastructures adéquates : ports, digues, quais …
    un service pour guider les bateaux : le pilotage,
    un service pour les aider à accoster : le remorquage,
    un service pour les amarrer : le lamanage,
    un service pour les réapprovisionner : le soutage et les shipchandlers,
    un service pour les contrôler : les officiers de port, la douane, la police.

Il faut ensuite :
pouvoir décharger et recharger les marchandises transportées : cela concerne les dockers, les transitaires, les agents, les consignataires,
puis acheminer les marchandises (parfois les passagers) et qu’elles soient distribuées : par camions, par trains. Il faut donc des routes et des chemins de fer à proximité, voire des aéroports.
Bref, les activités d’un port sont multiples, variées, très spécifiques et absolument incontournables d’un point de vue stratégique : imaginez un port bloqué (un grain de sable quelconque venu se faufiler dans ces rouages si complexes) et c’est tout de suite l’arrêt du commerce extérieur, une quasi-impossibilité de se ravitailler en pétrole donc plus de véhicules, pénurie de nourriture et autres biens de consommation. L’économie est bloquée mais entendons-nous bien : c’est toute l’activité humaine qui est paralysée.
L’impact humain ne serait absolument pas le même pour une gare ou un aéroport.
D’où l’importance de ne pas prendre à la légère toute modification de l’organisation du domaine portuaire dont les interférences dépassent largement la zone géographique.

II - LES MARINS

Nous avons parlé des ports, mais comme il n’y a pas de port sans navires, parlons des marins qui les mènent et qui sont si malmenés depuis quelques temps.
Les marins sont au mieux connus grâce à Cousteau ou « Thalassa » : c’est dire si on est loin de la réalité.
Il y avait 9740 marins de commerce français au 31 décembre 2003 : rien en comparaison du nombre d’enseignants ou d’employés de la SNCF. Et comme par définition ils naviguent et travaillent de 10 à 16 heures par jour (légalement 14 heures), se regrouper pour défendre leurs statuts leur est très difficile : embarqués, ils n’ont pas le temps ; en congés, qui songe à donner encore de son temps pour la défense de son métier, alors que le lieu de résidence est fréquemment à des centaines de kilomètres des ports d’armement et qu’une bonne semaine de congés est employée à se réadapter au rythme de vie à terre ? Ce sont les deux handicaps majeurs de ce secteur sur le plan social, offrant une voie royale à une politique dictée par les règles de la concurrence. De plus, une proportion non négligeable (mais difficilement quantifiable compte tenu de la mobilité des embarquements) de ces marins naviguent pour des sociétés françaises, sous conditions françaises ou non, mais sur des navires battant pavillon étranger. Ils sont une minorité de français à bord (souvent 1 ou 2) et le quotidien les marginalise naturellement par rapport à l’ensemble du métier.
Parmi ces gens de mer, on distingue communément les officiers pont (qui sont chargés de la navigation, du chargement et déchargement des marchandises) ; les officiers machine (chargés de la maintenance et de la conduite des moteurs) ; puis les équipages qui font la manutention et l’entretien au pont et ceux qui font la maintenance et l’entretien à la machine. Sur les 9740 marins de commerce, 2983 sont officiers et 6757 personnels d’exécution.
Pour former un officier au brevet complet de C1NM, le rendant « apte toutes fonctions, toutes navigations », il faut 4 années d’école entrecoupées de 5 années de navigation, soit 9 ans au mieux. Néanmoins, il existe d’autres formations plus courtes, mais aux prérogatives plus restreintes.
Notons au passage la disparition complète de l’officier électronicien radio à partir de 1995, alors que dés le début des années 90 justement, les appareils électroniques et l’automatisation se sont de plus en plus sophistiqués : c’est un non-sens passé complètement inaperçu ! Cette charge et cette responsabilité n’ont fait que s’ajouter aux tâches des officiers pont. De la même manière qu’à l’issue d’un stage de quinze jours renouvelable tout les 5 ans, le même officier s’est vu octroyer la responsabilité des soins à bord ! Par soins, il faut comprendre tout ce qui peut arriver dans un milieu clos et à risque : du simple rhume à la fracture ouverte, du pansement à l’intraveineuse…
Le quotidien du marin est très varié. Il se trouve confronté à toutes sortes de situations qu’il doit résoudre. Parfois, cette résolution revêt un caractère vital. Il doit être capable d’embarquer dans des contrées les plus reculées, de découvrir un nouveau bateau le plus rapidement possible (les embarquements en double pour passer « la suite » se font de plus en plus rares), de gérer un équipage cosmopolite et pas toujours commode, de réparer une panne en pleine nuit, lorsque la tempête fait rage et que le mal de mer pas n’est pas forcément très loin, de faire face à des autorités qui n’hésitent pas à faire planer la menace de l’amende, de la saisie ou de l’enfermement pour des règles pas toujours établies, d’imaginer un système pour saisir efficacement un chargement des plus variés, de confectionner une pièce vitale pour la machine alors que le navire est à la dérive, proche de la terre et que les autorités s’inquiètent, bref toutes sortes de situations des plus inattendues. Forcément, la formation est indispensable à la gestion quotidienne de la vie à bord. L’expérience, la transmission du savoir et la conscience professionnelle sont tout aussi importantes. Les conséquences environnementales et humaines suite à un manquement, même s’il est occasionnel et pardonnable, sont très vite colossales. Le principe de précaution, s’il est omniprésent dans la tête du marin (« Trop fort n’a jamais manqué parce que trop faible a souvent fait défaut »), devrait être la base de toute législation, qu’elle soit nationale, européenne ou internationale. Ce n’est que rarement le cas, bien au contraire.

III - LES NAVIRES

Qu’est-ce qu’un navire ?
La question paraît presque inopportune. Pourtant il n’est pas inutile de connaître la spécificité de ce mode de transports pour comprendre à quel point ce secteur est sensible aux choix politiques, économiques et sociaux. Les impacts de ces choix ainsi que leurs conséquences sur les littoraux et le développement des points clés que sont les ports, sont primordiaux.
Les types de navires sont variés suivant le fret qu’ils transportent. On distingue, parmi les plus courants :
Les pétroliers pouvant communément transporter 350 000 tonnes de pétrole, soit le plein de 10 millions de voitures.
Les vraquiers (transports de blé, minerais, sel, bois, tôles, colis lourds, nourritures, ciment, bétail, huiles, vins, eau …) dont les capacités varient du simple hangar à blé au troupeau de vaches, en passant par la colline de minerais ou l’usine "clés en main".
Les RoRos : ce sont les transporteurs de véhicules. Un navire de taille moyenne de cette catégorie charge environ l’équivalent de 3 kms de bouchons de route.
Les porte-conteneurs : il faut 12 000 camions de taille maximale pour vider complètement un de ces porte-conteneurs de dernière génération.
Les ferries pour les passagers : un navire reliant la Corse au continent transporte l’équivalent des passagers d’une centaine de cars.
La flotte sous pavillon français (1er ou second registre) a oscillé pendant les années 1990-2005 entre 205 et 215 navires de commerce, transportant en permanence 6 à 7 millions de tonnes de fret. Au 1er janvier 2004, cette flotte se répartit ainsi : 54 pétroliers de capacité totale de 4,35 millions de tonnes de port en lourd (capacité de transport), 65 navires à passagers offrant 45 000 places et 17 000 voitures accompagnatrices pour la métropole, 88 cargos de capacité totale de 1,84 million de port en lourd, ainsi qu’une multitude de "petits" navires comme les remorqueurs portuaires (plus de 70 en métropole dont le prix d’achat neuf est d’environ 5 millions d’euros chacun), des navires à passager, etc.
Un navire, c’est donc un véhicule aux capacités gigantesques qui a la particularité d’être soumis aux éléments eau et air (et parfois feu ou terre…), fondamentalement aléatoires et capricieux, et de plus assez difficilement maîtrisables. D’où la nécessité impérative de renforcer les principes de précautions et de sécurité (dont l’accès fiable aux renseignements météorologiques devrait faire partie).
100 camions-citernes (l’équivalent d’un petit caboteur) renversés sur la chaussée, cela provoquerait à coup sûr un impact médiatique et une très grande émotion. Pourtant cet incident énorme arrive souvent dans l’indifférence voire l’ignorance la plus totale, car il ne nous touche que lorsque les dégâts sont bien visibles sur nos côtes ou dans nos ports. Jamais lorsqu’ils ont lieu au large. De fait 70 pétroliers ont sombré pour la seule année 96, provoquant 70 marées noires à plus ou moins longue échéance : qui en parle ? Devons-nous nous préoccuper uniquement de ce qui ce passe sous nos yeux ? Dans l’instant ? Et dans l’énormité ?

En guise de conclusion, un aperçu du quotidien des marins est relaté dans le documentaire « Paroles de marins ». Pour ce qui est des navires, juste une échelle de valeurs : le plus gros porte-conteneur actuellement fait 400 mètres de long, 61 mètres de large, peut charger 225 000 tonnes de marchandises dans 23 756 conteneurs, navigue à 20 nds et est immatriculé... au Panama (pavillon de complaisance et paradis fiscal).